Sommes-nous trop focalisés sur l'Ukraine? Certes, Vladimir Poutine a pris l'ascendant dans le conflit qui l'oppose à Kiev. Mais si l'on dézoome un peu, on réalise que Moscou, en perte d'influence, multiplie les échecs un peu partout sur la planète, analyse le journaliste et auteur Casey Michel, à la tête du programme Combating Kleptocracy («Combattre la kleptocratie») de l'organisation américaine Human Rights Foundation, basée à New York, dans un article pour le magazine américain Foreign Policy. L'analyste applique à la Russie de Vladimir Poutine la théorie des dominos, affirmant que la dynamique est déjà lancée.
Le premier «domino» à chuter a été le Haut-Karabakh (ou Artsakh en arménien). Cette république autoproclamée, dont le territoire montagneux appartient à l'Azerbaïdjan selon le droit international, est peuplée de 148.000 habitants, majoritairement d'ethnie arménienne. Soutenue par la république d'Arménie voisine et la Russie, qui y disposait d'une base militaire abritant 2.000 soldats, elle a été reconquise par l'armée azerbaïdjanaise en septembre 2023. Sans que les Russes, occupés en Ukraine et fâchés avec le gouvernement issu de la révolution arménienne de 2018, ne lèvent le petit doigt.
Quinze mois plus tard est venue la Syrie. Le régime sanguinaire de Bachar el-Assad, que la Russie avait sauvé en 2015, s'est effondré comme un château de cartes au début du mois de décembre 2024. La Russie n'a pas été capable –ou n'a pas souhaité– voler à sa rescousse une deuxième fois. Tout juste a-t-elle accueilli le tyran déchu et sa famille. Cela a écorné un peu plus l'image de «garant de sécurité» que Moscou cultivait vis-à-vis de ses alliés dictateurs. De plus, la Russie risque de perdre l'accès à sa base navale de Tartous et sa base aérienne de Hmeimim, dans l'ouest de la Syrie, ce qui compliquerait ses opérations africaines en l'obligeant à se replier sur la Libye. Bref, la lose totale.
«Ces deux événements –la disparition du Haut-Karabakh et la dissolution du régime de Bachar el-Assad– résultent de la volonté de Vladimir Poutine de soumettre l'Ukraine, quel qu'en soit le prix, écrit Casey Michel. Tout cela soulève deux questions: étant donné qu'il est complètement absorbé par cette obsession messianique envers l'Ukraine, quel domino prorusse sera le prochain à tomber? Et comment les dirigeants occidentaux peuvent-ils être prêts à en tirer pleinement profit?»
Première piste: la Transnistrie. Ce territoire séparatiste moldave, soutenu et dirigé en sous-main par la Russie, a été littéralement plongée dans le noir lorsque Moscou a coupé son approvisionnement en gaz vers l'Europe et la crise énergétique a évolué en crise politique. Selon Casey Michel, l'Occident devrait s'impliquer davantage dans l'avenir du territoire, même si l'Union européenne a débloqué une aide d'urgence de 30 millions d'euros, lundi 27 janvier, afin que la Moldavie puisse acheter du gaz pour la Transnistrie.
«De son côté, la Géorgie reste embourbée dans une crise politique intérieure pire que tout ce que le pays a connu depuis des années, poursuit l'auteur et journaliste. Après les récentes élections législatives [en octobre 2024, ndlr], largement considérées comme frauduleuses, le parti prorusse Rêve géorgien a revendiqué la victoire et, avec elle, le droit de contrecarrer l'orientation pro-occidentale de Tbilissi. Ce scrutin volé est l'aboutissement d'une trajectoire plus longue, la direction du parti ayant démantelé les fondements de la démocratie géorgienne.»
C'est peut-être concernant la Biélorussie que les Occidentaux sont les plus absents. Le dirigeant autocrate et prorusse Alexandre Loukachenko a remporté un «simulacre d'élection», le 26 janvier dernier. Or, le précédent bourrage d'urnes, lors de l'élection présidentielle biélorusse du 9 août 2020, avait provoqué une vague de contestation inédite dans les mois qui ont suivi. L'opposition est mieux organisée et plus énervée qu'il y a quatre ans et demi. Et le parrain russe –qui avait envisagé d'annexer la Biélorussie d'ici à 2030– a fort à faire en Ukraine, même s'il a besoin du territoire biélorusse pour mener sa guerre d'agression contre Kiev. Les Occidentaux ne pourraient-ils pas soutenir plus fermement l'opposition?
«Les questions et les crises liées à la stabilité interne de la Russie sont encore loin, tempère Casey Michel. Mais c'est dans cette direction, en fin de compte, que se dirige l'effondrement accéléré des dominos. C'est une raison de plus pour que l'Occident commence à formuler une politique non seulement sur les prochains dominos à tomber –des endroits comme la Transnistrie, la Géorgie et même la Biélorussie– mais aussi sur ce à quoi pourrait et devrait ressembler la Russie post-Poutine. Après tout, une fois qu'ils commencent à tomber, les dominos ont tendance à continuer. L'Occident devrait s'y préparer.»
2025-02-04T06:38:17Z