QUI EST ARMEN SARKISSIAN, LE PETIT CHEF DE GUERRE PRO-RUSSE LIQUIDé à MOSCOU ?

Armen Sarkissian, chef du bataillon Arbat, a été tué, lundi, à Moscou. Fondateur de l’un des groupes pressentis pour succéder aux mercenaires de Wagner en Ukraine, il figurait sur la liste des cibles de Kiev depuis 2014 en raison de son implication dans le conflit du Donbass.

Il habitait un immeuble gardé 24h/24 au cœur d’un quartier cossu dans la banlieue nord de Moscou. Cela n’a pas empêché Armen Sarkissian d’être mortellement blessé par une explosion dans le hall de son immeuble, lundi 3 février. Cet homme, inscrit sur la liste noire des services de renseignement ukrainiens, est décédé peu après à l’hôpital.

"En termes de signal envoyé à tous ceux qui soutiennent l’effort de guerre russe en Ukraine et se croient à l’abri à Moscou, on peut difficilement faire plus clair", assure Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l’université de Bath (Angleterre). "Le niveau d’alerte va certainement monter à Moscou", confirme Jeff Hawn, spécialiste des questions de sécurité en Russie à la London School of Economics (LSE).

Du Donbass à la région de Koursk

Les services de renseignement ukrainiens n’ont pas confirmé être impliqués dans la mort d’Armen Sarkissian, mais il était sur leur liste noire depuis des années. Ce Russe d’origine arménienne qui était à la tête de la fédération de boxe dans le Donbass pro-russe n’est, en effet, pas n’importe qui. Il est le fondateur, en octobre 2022, du bataillon Arbat (Armenian Bataillon), "l’un des groupes paramilitaires privés (PMC) qui ont ensuite été promus par les autorités russes après la mort d’Evgueni Prigojine, le dirigeant du groupe de mercenaires Wagner [mort en août 2023]", souligne Jeff Hawn.

Arbat est loin d’avoir une envergure comparable à celle de Wagner, et "compte entre 200 et 600 combattants", précise l’expert de la LSE. Leur spécificité : ils sont, dans leur grande majorité, russes d'origine arménienne et ont souvent été recrutés dans les prisons russes.

Ces mercenaires "ont combattu dans le Donbass aux alentours de la ville d’Avdiivka dans l’oblast de Donetsk, mais aussi celui de Louhansk et ils ont été déployés dans la région russe de Koursk qui est en partie occupée par l’armée ukrainienne", détaille Stephen Hall.

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Rien d’extraordinaire à cela. L’armée russe n’hésite pas à déployer la douzaine de groupes privés de combattants pro-russes dans les zones où les affrontements sont les plus acharnés. "L’avantage est que lorsque ces mercenaires sont tués, ils ne comptent pas pour le nombre des soldats russes morts au combat puisque ce sont des entités distinctes de l’armée, même si elles lui sont inféodées", explique Stephen Hall.

Mini-Wagner ?

Le groupe Arbat semble, cependant, avoir une place quelque peu à part dans l'aréopage des PMC de l’ère post-Prigojine. "Son nom complet contient la désignation de ‘garde’ qui est, habituellement, attribuée directement par la présidence russe aux unités d’élites. Le groupe Arbat a aussi été rattaché à la 51e armée où le bataillon apparaît comme une unité en charge d’opérations spéciales", résume Jeff Hawn.

Le principal financier de ces mercenaires serait, en outre, le milliardaire russo-arménien Samvel Karapetyan, d’après le gouvernement ukrainien. Cet homme d’affaires est à la tête du Tashir Group, un conglomérat actif dans le secteur du bâtiment, de l’hôtellerie ou encore des centres commerciaux qui a des liens avec le très puissant géant russe Gazprom.

Enfin, le groupe Arbat "a été accusé d’avoir essayé d'organiser un coup d’État pro-Russe en Arménie", note Stephen Hall. Les autorités arméniennes ont affirmé que des combattants avaient été formés dans un camp d'entraînement du groupe Arbat en Russie pour se préparer à renverser le gouvernement à Erevan.

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Ces spécificités ne semblent néanmoins pas avoir permis au groupe Arbat de s’imposer dans le paysage des mercenaires pro-russes, d’après les experts interrogés par France 24. Il se bat aux côtés des autres PMC en Ukraine, et "reste une sorte de Wagner en plus petit", souligne Jeff Hawn.

Le fait d’avoir fondé un tel groupe suffirait à faire d’Armen Sarkissian une cible pour les services de renseignement ukrainiens. Mais, en réalité, il est dans le collimateur de Kiev depuis bien plus longtemps. "Il fait partie de la diaspora arménienne installée depuis longtemps en Ukraine, et après 2014, lorsque les forces pro-Russes ont mis en place des institutions parallèles dans le Donbass, Armen Sarkissian a accepté de les aider", explique Jeff Hawn.

Parrain local du crime

Bien avant de devenir un chef de guerre de second rang, Armen Sarkissian s’était imposé dans le Donbass pro-russe comme une sorte de "figure criminelle dans la région de Donetsk". Il a même reçu le surnom d’Armen 'Gorlovsky', le nom en russe de la ville d’Horlivka, à l’est de l’oblast de Donetsk où il est censé s’être imposé comme une sorte de parrain local.

Les autorités ukrainiennes l’accusent non seulement d’avoir collaboré avec les forces pro-russes dans le Donbass, mais également d’avoir organisé des assassinats à Kiev, précise la chaîne américaine CNN.

Si les Ukrainiens sont à l’origine de son assassinat à Moscou, la mort d’Armen Sarkissian est "un rappel que les services ukrainiens savent être patients pour traquer leurs ennemis", assure Stephen Hall.

Pour Jeff Hawn, "il y a de fortes chances que ces assassinats ciblés continuent". La faute, d’après lui, aux difficultés de l’armée ukrainienne sur le front et à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. "Face à l’avancée de l’armée russe, les opérations de guerre asymétrique, tels que les assassinats ciblés, sont la meilleure manière pour l’Ukraine actuellement de rétorquer à l’agression russe. En outre, face au désengagement relatif de l’administration Trump, l’Ukraine n’a plus de raison de se retenir", assure Jeff Hawn. Auparavant, sous Joe Biden, Kiev hésitait à frapper à répétition en territoire russe de peur de froisser Washington et perdre son soutien. Dorénavant, les autorités ukrainiennes jugent qu’elles n’ont plus grand-chose à perdre.

2025-02-04T16:30:03Z