Une marée humaine a défilé dans les rues de Belgrade ce 15 mars où les manifestants ont défilé contre la corruption et demandant la fin du régime du président Aleksandar Vucic, plus de quatre mois après l'effondrement meurtrier d'un auvent de la gare de Novi Sad.
Le président serbe Aleksandar Vucic s'est exprimé samedi à l'issue d'une journée de manifestation massive dans les rues de Belgrade, la capitale, où entre 275 000 et 325 000 manifestants ont défilé, selon un organisme de comptage indépendant, 107 000 selon les chiffres de la police.
« Nous avons bien compris le message et nous devrons nous changer, même si j'espère que d'autres ont compris que les citoyens ne veulent pas de révolutions colorées. Il est important que nos enfants aillent à l'école et que les étudiants retournent à l'université », a déclaré le président. Il s'est félicité que la manifestation ait eu lieu sans faire de victimes, ni de blessés grave, malgré la colère des manifestants. « La Serbie a gagné, nous avons réussi à préserver la paix » a-t-il souligné.
Dans l'après-midi, des dizaines de milliers de manifestants ont continué d'affluer à Belgrade, les autoroutes ont été bouchées, rapporte notre correspondant à Belgrade, Laurent Rouy. Les voitures garées ont déversé un flot continu de contestataires qui se sont dirigés ensuite vers le Parlement en plusieurs marées humaines qui ont bloqué toutes les grandes avenues.
L'ambiance est bon enfant, mais déterminée. Les étudiants demandent la fin de la corruption mais la foule, elle, veut la fin du régime du président Vucic, au pouvoir depuis treize ans. Lui, au contraire, refuse toute concession. Encore cet après-midi, il s'est dit prêt à résister à toute pression et à toute attaque. Ce discours martial qui chauffe ses partisans à blanc, a une fois de plus entraîné un incident violent puisqu'un véhicule a foncé dans la foule, causant trois blessés.
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Par ailleurs, la police a saisi des armes blanches et procédé à treize arrestations ce matin. Les journalistes étrangers ont aussi été interdits d'entrer dans le pays.
Sur la place Terazije, dans le centre de Belgrade, Yovanka, une manifestante sans emploi, ne mâche pas ses mots au micro de notre envoyée spéciale Jelena Tomic. « Le système est pourri jusqu’à l’os. La seule chose qu’il nous reste à faire c’est de détruire, pas de manière violente évidemment, en brûlant ou cassant, mais en reconstruisant des fondations saines, pour avoir un système qui ne poussera pas nos jeunes à partir », clame-t-elle. « Cette jeune génération s’est rendu compte que ce qu’elle apprenait à la fac n’avait rien à voir avec la réalité dans laquelle elle vit. »
« Lorsque vous sortez dans la rue, vous voyez bien qu’il y a un problème. Lorsque vous allumez la télévision, pareil. Vous entendez des mensonges à longueur de journée, y compris de la bouche du président », ajoute Yovanka. « Cet homme a usurpé le pouvoir et chaque jour viole la Constitution. Par ailleurs, Vucic est victime de chantage et enfin, il est flagrant que sa santé mentale n’est pas bonne. Alors qu’il est censé représenter le peuple serbe, il passe son temps à nous insulter. Pourtant, vous pouvez le voir, nous ne sommes pas des sauvages ! »
Petar, un retraité de Zemun, une ville de la périphérie de Belgrade, s'est joint au mouvement. « Nous n’avons pas beaucoup manifesté dans notre vie, car nous attendions une manifestation authentique et grande comme celle-ci, qui peut accomplir beaucoup de choses », explique-t-il. « Jeunes ou vieux, tout le monde s’est enfin réveillé et a compris que la situation actuelle ne menait nulle part. Notre industrie et notre agriculture ont été détruites. »
« Plutôt que de protéger le peuple, la police protège un tyran. Quant à la justice, n’en parlons pas, c’est un désastre », déplore Petar. « Ma femme et moi, nous n’avons pas peur de l’autorité, nous la respectons, mais il faut que ce respect soit mutuel. Et regardez où en est arrivé aujourd’hui, notre vie est comme un jeu de domino, où les deux talons d’une pièce sont vides ! »
À midi, le centre-ville de Belgrade est devenu silencieux, l'espace de 15 minutes. Les milliers de manifestants ont soudainement cessé leurs acclamations, pour rendre hommage aux 15 personnes qui ont perdu la vie lors de l'effondrement du toit de la gare à Novi Sad, le 1er novembre 2024.
À quelques pas des facultés de philosophie et des langues, une cinquantaine d’agriculteurs ont passé la nuit à la belle étoile. Ils sont arrivés vendredi soir en tracteurs, après avoir accompagné, sur 110 km, des groupes d’étudiants arrivés à pied de l’ouest de la Serbie pour assister à la grande manifestation dans la capitale.
Les raisons de la révolte sont multiples. « Le problème, c’est que toutes les fonctions sont occupées par des incompétents, qui ont obtenu leur poste soit grâce au parti soit à de faux diplômes, s’indigne Ivan, ouvrier, auprès de Jelena Tomic, envoyée spéciale de RFI à Belgrade. Ces gens-là agissent dans leur propre intérêt et c’est nous qui payons. On ne peut pas vivre comme ça. Nous, les habitants de Macva, nous sommes des bosseurs. Mais notre travail n’est pas payé à sa juste valeur et c’est normal qu’on se révolte. »
Dalibor, agriculteur, vit dans une région riche en lithium. Pour lui, l’exploitant Rio Tinto n’est pas le bienvenu : « Ils ne creuseront pas en Serbie, c’est notre combat commun avec les étudiants. Et tant que nous serons en vie, ils ne creuseront pas. 1500 bikers sont venus l’autre jour pour nous soutenir. Ça nous a fait chaud au cœur, cette solidarité. La solution, c’est qu’ils s’en aillent. Et qu’on mette en place un gouvernement provisoire. »
Les discussions s’animent : « Tant qu’on ne règlera pas le problème de la justice, on n’avancera pas. Même une semaine c’est trop. Si tout le monde s’arrêtait trois jours. Ce serait la fin. En trois jours, ce serait plié en un clin d’œil. »
D’autres aimeraient que cette mobilisation qui s’annonce déjà comme historique par son ampleur, marque le début de la fin d’un régime rejeté désormais pas une écrasante majorité de la population.
À Belgrade, des incidents avaient déjà eu lieu dans la nuit de vendredi à samedi, rapporte notre correspondant à Belgrade, Laurent Rouy. Vers 3h du matin (heure locale), un professeur et un élève ont été agressés devant l'entrée d'une des universités occupées par les étudiants dans le cadre de leur mouvement de protestation. On ne connait pas la nature exacte des blessures qu'ils ont subies. On ne sait pas si la police - qui a été contactée - a arrêté les auteurs de cette agression.
On notait déjà une forte tension ce vendredi, en même temps que les scènes de liesse de l'arrivée des marcheurs et des cyclistes qui avaient traversé la Serbie pour arriver à Belgrade. Ils ont été accueillis, dans une ambiance festive, par plus de 30 000 personnes dans les rues de la capitale, dont la bravoure et la détermination forcent le respect.
Depuis cinq jours, certains d’entre eux ont entamé des marches de plus de 190 km, depuis Nis au sud ou Subotica au nord, pour rejoindre la capitale. Noires de monde, les artères centrales ont de nouveau résonné au son des sifflets et vuvuzelas et du désormais fameux cri de ralliement « Pumpaj », devenu le symbole de cette révolte étudiante et qui signifie littéralement pompe, comme pour faire exploser un ballon.
Il y a eu des incidents au niveau du camp des pro-Vucic qui est protégé depuis deux jours par deux rangées de tracteurs et deux rangées de barrières métalliques, avec la présence de nombreux policiers anti-émeutes. Des tracteurs ont été abîmés et des jets de projectiles — notamment des pro-Vucic vers la population – ont eu lieu. Pour le moment, seuls des dégâts matériels légers sont à déplorer.
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Dans une déclaration martiale, le président Vucic a appelé les manifestants à rester calme pour « ne pas qu'ils me supplient ensuite de les amnistier plus tard ». Cela donne une idée de l'ambiance qui règne à Belgrade. Selon la présidente du Parlement, Ana Brnabic, proche du président au pouvoir, un coup d'État est en cours, avec comme but final, une tentative d'assassinat du président.
Aleksandar Vucic a interrompu la diffusion de trois stations de radio et les chaînes de télévision favorables au pouvoir se barricadent comme TV Pink, l'une des porte-voix du pouvoir. Le président a également fait bloquer les trains en direction de Belgrade, afin de gêner l'acheminement des manifestants vers la capitale. Des lignes de bus sont aussi coupées.
2025-03-15T08:53:23Z